Entretien avec René Pical
Conservateur de l'Herbier de la Faculté de Pharmacie de Montpellier.
« Einstein » s'est mis au vert
Les plantes, c'est la vie. Et c'est la sienne. René Pical leur a consacré son existence-passion. Rencontre d'une nature heureuse.
Les points communs sont frappants ; même éclat rieur du regard, moustache généreuse, cheveu blanc rebelle. René Pical, c'est sûr, aurait pu jouer les sosies du grand Albert Einstein.
Mais voyez-vous, il y a une différence essentielle entre leurs trajets respectifs.
Un distinguo qui créé divorce fondamental. Le premier, qu'il l'ait regretté ou non, fut l'un des pères de la bombe atomique. Le second est admirateur attendri du Ginkgo, le plus vieil arbre du monde (300 millions d'années) qui a résisté au cataclysme d'Hiroshima. Une force de la nature capable de supporter toutes les «opérations Manhattan » de la folie humaine.
Même celle de la pollution maxi. A New York, l'indestructible Ginkgo survit, inexplicablement , dans une atmosphère de guerre chimique.
La morale de l'histoire, n'est pas pour déplaire à l'ami des plantes.
Vocation
La nature, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, René Pical l'a toujours adulée. « C'est mon grand-père qui m'a donné le virus. Lorsque j'étais tout jeune il m'amenait dans les bois, du coté de Vialas. Il me parlait des plantes me livrait leurs secrets ».
La carrière était toute tracée, naturelle. Après des études en école d'agriculture, René Pical s'est lancé dans l'herborisation. Malheureusement, les portes de l'enseignement lui étaient fermées, pour cause d'accident. Tympan perforé à l'age d'un an et demi.
Handicapé par sa surdité, René Pical s'est donc tourné vers le travail de «labo». A la fac de pharmacie de Montpellier, il a commencé par préparer des poudres pour les étudiants. Et puis, de recherches en «expéditions»sur le terrain, il a enrichi son herbier jusqu'à ce qu'il devienne l'un des plus beaux du pays.
Un savant, l'«Albert Einstein» du Causse Noir ? il s'en défend. Combien connaît-il de plantes ? «Je ne sais pas. Beaucoup, mais on ne peut pas donner de chiffres» déclare t-il avec modestie. Il y a quand même une référence : les 5000 planches qui s'empilent chez lui, à Montpellier, sur des rayonnages méticuleusement étiquetés. Doté d'une mémoire qui force le respect (l'une des qualités essentielles pour exercer le métier) il est capable de vous réciter toutes les fiches signalétiques de ces 5000 spécimens là. Et ses connaissances vont bien au delà de cette collection personnelle.
Il est rare, rarissime même, qu'on le prenne en défaut.
Une simple description verbale et il vous trouve le nom de la plante (en français et en latin), vous décrit son habitat, ses vertus médicinales ou ses dangers. A Montpellier, les étudiants qu'il aide à préparer leurs thèses peuvent témoigner de l'étendue de son savoir.
Lui n'en tire aucune gloriole. « Vous savez, on estime qu'il existe, sur Terre, 750 à 800 000 variétés. Seulement 250 000 ont été déterminées alors. ».
Alors il continue ses recherches, découvrant toujours des nouveautés insoupçonnées, comme cette digitale anormale, observée ces dernières semaines.
Leçon de sagesse
«Sans les plantes, il n'y aura pas de vie. Moi, elles m'ont appris à être simple, à venir en aide aux autres». Il parle de ses compagnes préférées comme il parlerait des hommes. Peut-être mieux. « Elles sont vraiment vivantes. Elles peuvent languir, ont besoin d'un environnement favorable pour se sentir heureuse.»
Il aime tellement le métier qu'il n'a jamais vraiment pris sa retraite, René Pical. Tous les matins, il retourne à la fac « parce que personne n'a pris le relais ». Il s'occupe de l'herbier, assiste les profs pendant les cours et les étudiants pour leurs travaux personnels. L'après-midi, certains viennent travailler chez lui. Parfois, il fait le «nègre» pour des bouquins. Ca c'est le régime d'hiver. Car l'été, depuis 30 ans, la famille Pical émigre à Lanuéjols.
Lieu privilégié
Le Causse Noir, avec son micro climat, jouit d'une flore exceptionnelle. On y trouve, assure René Pical, les trois quarts des espèces connues en France. Des botanistes du monde entiers viennent y mener des études, s'y recycler. Rien d'étonnant qu'il ait choisi ce site pour ses quartiers estivaux.
Il peut y poursuivre ses recherches et tente d'y prêcher la bonne parole à l'aide d'expositions et de parcours d'initiation sur le terrain.
Las, les étudiants ne se bousculent pas au portillon.
Cette année une dizaine de personnes, tout au plus, poussent quotidiennement les portails de l'école communale, gracieusement mise à disposition par la municipalité de Lanuéjols.
Dommage, car c'est en France, la seule exposition itinérante d'un herbier de cette qualité. Plus de 250 variétés y sont présentées, avec le commentaire éclairé de «l'auteur». René Pical et son épouse, avec une belle constance, sont fidèles au poste, matin et soir.
Trente ans que cela dure. Trente ans et le Causse Noir en dépit d'une visite de Jack Lang (mais oui) ne reconnaît toujours pas son bonheur. Celui d'héberger l'une des plus riches flores de l'Hexagone et l'un de ses meilleurs spécialistes.
René Pical, qui ne se soigne qu'aux plantes n'en fait pas une maladie. Il n'en conçoit que ses regrets. Pour ses amies les plantes.
Lui, dans l'histoire, ne court qu'après un but : la liberté. Et il l'a déjà trouvée, depuis longtemps. Ce qui explique, sans doute, son éternelle bonne humeur et sa ténacité. Indéracinable, comme le Ginkgo biloba.
Propos recueillis par Jean-Louis MONERIE
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